L'école en A.O.F.
INTRODUCTION
L’Afrique Occidentale Française était une fédération groupant entre 1895 et 1958 huit colonies françaises d’Afrique de l’Ouest, avec pour objectif de coordonner sous une même autorité la pénétration coloniale française sur le continent africain.
Constituée de plusieurs étapes, elle réunit à terme la Mauritanie, le Sénégal, le Soudan Français (devenu MALI), la Guinée, la Cote d’Ivoire, le Niger, la Haute-Volta (devenue Burkina-Faso) et le Dahomey (devenu Benin), soit près de 25 million de personnes au moment de sa dissolution.
Cependant un arrêté de 1903 porte création du système scolaire en A.O.F et en 1904, un corps d’inspecteurs de l’enseignement est crée et formé dans ce qui deviendra en 1916 l’Ecole William PONTY.
Ainsi pour bien cerner la question de l’école en A.O.F, nous articulerons notre travail autour de quatre grands points à savoir les conceptions et les buts de l’école, la création et la nature de l’école, l’organisation de l’enseignement et enfin la crise de l’enseignement en A.O.F.
I-CONCEPTIONS ET BUTS DE L’ECOLE
1-Conceptions
Dans les sociétés traditionnelles africaines, les systèmes éducatifs étaient fondés sur l’oralité. Ils étaient souvent organisés en stage initiatiques et marqués par des rites de passage. Ils permettaient aux adultes de socialiser les plus jeunes et de leur transmettre les savoirs nécessaires à la vie quotidienne, les comportements sociaux, des sciences traditionnelles et les connaissances religieuses.
Or les colonisateurs ont méprisé ces systèmes. Pour eux, la politique éducative coloniale devrait viser au maintien et au développement du système colonial. C’est pourquoi A. SARRAUD disait : «La mise en valeur des possessions d’Outre- Mer appelle d’abord la mise en valeur de l’individu par l’instruction».
2-Objectifs
Les points de vue de la conception et les objectifs de l’école sont concordants quant au circulaire et rapport des gouverneurs ainsi que les travaux d’auteurs spécialistes ou non de l’enseignement : accomplissement de la mission civilisatrice de la France, imposition de ses idées et sa culture à des populations dites primitives, transformation et évolution de ces mêmes populations.
Sur le plan pratique, l’école fournit à l’administration coloniale, à l’économie les hommes dont elles ont besoin : techniciens, employés auxiliaires, contre- maitres…Il s’agit de rendre les indigènes le plus possible dévoués à la cause coloniale et utiles à l’entreprise coloniale. C’est l’unique moyen d’accéder à la civilisation. Le système d’enseignement assure aux blancs des postes de responsabilité de conception et aux africains des d’exécution. Proprement dit, l’école coloniale forme des auxiliaires africains assujettis aux blancs. Si l’école coloniale est un moyen d’accéder à la civilisation, il faut cependant vaincre les préjugés.
II-CREATION ET NATURE DE L’ECOLE
1-Création
L’enseignement à l’occidentale a commencé à se diffuser en Afrique de l’Ouest au cours de la première moitié du XIXème siècle, surtout à travers les écoles tenues par des congrégations religieuses, même-si l’instituteur Jean Dard avait déjà ouvert une école publique à Saint-Louis dès 1817. Lorsque Faidherbe arrive au Sénégal en 1854, il est persuadé de la valeur stratégique de l’enseignement et de la propagation de la langue française. L’année suivante il fonde l’Ecole des otages rebaptisée par la suite « Ecole des fils de chefs et des interprètes », puis, en 1857, une première école laïque à Saint-Louis. D’autres écoles sont créées dans la foulé, primaires d’abord, puis secondaires. Une école normale est officiellement créée à Saint-Louis en Novembre 1903. Elle fonctionne d’abord en tant que section de l’école des fils de chefs et des interprètes, dans le quartier de SOR, donc en dehors de l’île, une localisation qui nuit à son succès. En 1907, la section des instituteurs est séparée de celle des interprètes et installée rue PORQUET dans les locaux mieux adaptés de l’ancienne Ecole Faidherbe. Le nombre d’élèves en provenance de l’A.O.F croît de manière significative et l’établissement se trouve bientôt à l’étroit. Plusieurs solutions sont alors envisagées, mais aucune n’aboutit jusqu’au départ vers Gorée en 1913. A sa création, l’école est placée sous l’autorité du gouverneur général et de l’inspecteur de l’enseignement de l’A.O.F. En 1907 elle est placée sous l’autorité directe du gouvernement du Sénégal, puis, en 1912, à la suite d’un conflit, elle revient à nouveau au gouvernement général de l’A.O.F. Dès le début et jusqu’à la fin de la période coloniale, l’accès à l’école se fait par concours. Le certificat d’études, d’abord exigé, ne l’est plus à partir de 1904. La difficulté du concours varie selon les années : 30 candidats sur 50 sont admis en 1905, 35 sur 66 en 1910, 10 sur 54 en 1912. Ces chiffres indicatifs ne reflètent pas la sélectivité du concours, car seuls les meilleurs y sont présentés. Un grand prestige est donc attaché à sa réussite. Les élèves sont externes, généralement boursiers. Les premières années ils sont avant tout sénégalais, mais cette proportion s’inverse par suite, en donnant à l’école son caractère véritablement fédéral. Cependant, en l’exception d’un certificat d’aptitude à l’enseignement, les sortants ne reçoivent pas de véritable diplôme reconnu en dehors de ce contexte.
L’Ecole normale d’instituteurs de Saint-Louis est transférée à Gorée le 1er mars 1913 et prend dans un premier temps le nom d’« Ecole normale d’instituteurs de Gorée ». Le 13 juin 1915 le gouverneur général de l’A.O.F, William PONTY, meurt à Dakar, et quelques semaines plus tard, l’école est rebaptisé en son honneur « Ecole normale William PONTY ». En 1921 l’école est réorganisée. Elle intègre l’école d’apprentissage administratif et commercial dite « Ecole Faidherbe » et change d’appellation pour devenir l’ « Ecole William PONTY » tout court. Elle comprend en effet désormais trois filières : une section dédiée à la formation des instituteurs, une section générale formant des agents de l’administration et du commerce et une section préparant les candidats à l’école de médecine de l’A.O.F à Dakar. La section administrative sera supprimée en 1924.
2-Nature
Si nous considérons que l’enseignement colonial doit valoriser l’indigène, permettre son évolution sociale, la transformation économique dans ces conditions selon BREVIE , il est un enseignement véritablement populaire c’est-à-dire un enseignement élémentaire simple, pratique ,approprié aux capacités mentales des enfants ou même des adultes auxquels il s’ adresse .L ‘école doit être massive, désintéressée ,largement humaine visant à réaliser l’ accession d’ une race à une vie améliorée, à un niveau de civilisation plus élevé .L’enseignement doit se faire en français .L’enseignement en français devient obligatoire en 1922 dès les petites classes pour diverses raisons :l’implantation politique, l’ homogénéité, l’ acculturation ,le caractère scientifique, la faculté pour les enseignants européens, la possibilité de contrôle et enfin la préférence nationale. Le français doit être imposé au plus grand nombre d’ indigènes et servir de langue véhiculaire. DENISE BOUCHE : « parler français c’est pensé en français et pensé en français c’est être quelque chose de plus qu’un homme ordinaire, c’est s associer à la noblesse de la destinée de notre pays ,de vivre de vie nationale. »
Par l’ enseignement moral ,le colonisateur doit se préoccuper de l’ amélioration morale des indigènes d ’ ou très fréquemment l’ introduction d’ éducation morale et d’ économie morale permettant aux instituteurs européens de développer chez l’ indigène le sentiment de la dignité personnelle, l’ esprit de conduite et de gouvernance de soi, de lui inculquer également quelques idées directrices, des habitudes d’ ordre de propreté , de prévoyance et de politesse.
III- ORGANISATION DE L’ENSEIGNEMENT
1-Ecole de village ou école de 1er degré
Elle ne comporte que les niveaux C.P et C.E, ou s’enseignent les rudiments de langue française, d’hygiène, les calculs et l’initiation aux travaux agricoles. Ainsi, l’enseignement du français est limité à l’expression d’idées courantes, à la désignation d’objets (visuels, usuels) sans raffinement de syntaxe et sans prétention à l’élégance.
2-Ecole régionale
Cette école est installée dans les centres les importants et qui comporte un C.M. Ces classes préparatoires élémentaires et cours moyens sont tenues par des instituteurs européens. Aussi, les études sont sanctionnées par un certificat d’étude primaire indigène d’un niveau inferieur à celui de la métropole.
3-Ecole urbaine
L’école est implantée dans les grands centres ou vivent des populations européennes et assimilés, fonctionnant avec les programmes de la métropole et sanctionné par un diplôme dont le Certificat d’Etudes Primaires.
4-Les écoles primaires supérieures
Au-delà du cycle primaire proprement dit, est prévu un enseignement primaire supérieur pour lequel sont recrutés par concours les meilleurs élèves de l’enseignement primaire élémentaire. Il est prévu d’implanter ces écoles dans chaque chef-lieu de colonie. A partir de 1920, elles permettent aux élèves de compléter sur place les connaissances acquises dans les écoles régionales et de poursuivre leurs études ailleurs. Elles sont très sélectives. Elles reçoivent des candidats titulaires du CEPI (Certificat d’Etude Primaire Indigène) et âgés de 17 ans et plus recrutés parmi les meilleurs éléments des écoles régionales et urbaines du territoire. Les préparant aux écoles du gouvernement général pour former des agents, des cadres locaux pour les besoins de la colonie. L’école primaire supérieure forme des cadres administratifs et économiques. La forme est orientée vers les professionnels.
5-L’école William PONTY
L’école William PONTY est l’école normale fédérale de l’Afrique Occidentale Française(AOF) qui a formé avant l’ère des indépendances, la plupart des instituteurs, médecins et cadres d’Afrique de l’Ouest, dont de nombreux ministres et chefs d’Etat ou de gouvernement, tels que Félix Houphouët BOIGNY , Modibo KEITA, Hubert MAGA, HAMARI DIORI, Sylva nus OLYMPIO, Mamadou DIA ou Abdoulaye WADE. Plus de 2000 élèves, surnommés « Pontins », en sont issus.
L’école a changé plusieurs fois de nomination, de statut et de localisation : créée à Saint-Louis en 1903, elle est transférée sur l’île de Gorée en 1913, puis à Sébikhotane, près de Rufisque, en 1937. L’institution se perpétue après l’indépendance, mais perd de sa spécificité avec les reformes du système éducatif, puis la multiplication des Ecoles de formation d’instituteurs(EFI).
Vue comme un établissement « prestigieux », un « vivier », une « pépinière », de futurs cadres par les uns, elle est décriée par d’autres comme un instrument idéologique, « jouant le même rôle que l’armée coloniale auprès des tirailleurs », « l’école de la soumission, de la compromission, de l’équilibre à tout prix », voire « le cimetière de l’intelligence africaine ». Au-delà des différentes approches, l’école normale William PONTY assurément occupé une place significative dans la vie sociale, culturelle et politique du XIXème siècle en Afrique de l’Ouest.
IV-Crise de l’enseignement en A.O.F
A la fin de la deuxième guerre mondiale, l’enseignement colonial en Afrique Occidentale Française a connu une crise profond qui n’a toujours pas été étudiée dan toute sa complexité. Comment comprendre la disparition rapide des formes d’enseignement « colonial » qui avaient été élaborées entre 1903 et 1944 ? Et comment se fait-il que l’enseignement « métropolitain » s’imposa avec autant de puissance ? Dans bien des récits historiques, ces transformations semblent presque aller de soi : « la France » aurait renoué avec les vielles habitudes et pratiques assimilationnistes. Et pourtant, quand on regarde de plus près, on découvre que la reforme scolaire a été l’objet de vifs débats et de sérieuses controverses. De plus, ces débats et controverses révèlent différents groupes d’acteurs, qui luttaient pour définir le sens de la réforme scolaire. Il est important de souligner à quel point les administrateurs coloniaux cherchèrent à défendre les écoles coloniales de l’entre-deux-guerres. Les travaux préparatifs à la conférence de Brazzaville tout autant que les délibérations du « Comité du Plan de l’Enseignement » pendant la conférence elle-même révèlent des efforts sérieux pour « sauver les écoles rurales ». La fin des écoles rurales fut surtout la conséquence d’autres facteurs tels que l’interdiction du travail forcé, la pression des élus africains et l’engagement croissant du Ministère de l’Education Nationale. Au sortir de la deuxième guerre mondiale, la légitimité de l’administration coloniale en matière d’éducation fut sévèrement mise en cause. Un procès de l’école coloniale fut ouvert, en premier lieu par les élus africains, mais aussi par l’Education Nationale, qui n’accepta plus d’être exclue des « territoires » d’Outre-mer. Face à ce procès, les écoles de l’entre-deux-guerres apparaissent très vite comme des écoles pour « sujets français », alors que les africains viennent d’accéder à la citoyenneté. Il nous faut comprendre le désarroi de l’administration coloniale devant cette situation. Pendant les périodes 1944-1950, et même au-delà, beaucoup d’administrateurs coloniaux craignent que l’arrivée des écoles « métropolitaines » ne les prive de leur autorité dans ce domaine important. Et cependant, quelques administrateurs de premier plan, tels Marius MOUTET et René BARTHES, invite l’Education Nationale à jouer un rôle croissant en AOF.
Après la deuxième guerre mondiale, le discrédit de « l’éducation adaptée » mina profondément la légitimité de l’administration coloniale dans le domaine de l’éducation. Tout au long de la période 1903-1944, l’administration coloniale avait invoqué la spécificité des « indigènes » pour justifier sa compétence exclusive en matière d’éducation coloniale. Après la deuxième guerre mondiale, l’administration coloniale de projet éducatif qui puisse couper court aux ambitions croissantes de l’Education Nationale. Pour comprendre la réforme scolaire, telle qu’elle se présente à partir de 1944, on doit analyser les nouveaux engagements du Ministère de l’Education Nationale ainsi que ceux des élus africains. De chaque côté on prône l’intégration des écoles locales dans le système scolaire métropolitain. La collaboration entre Ministère de l’Education Nationale et les élus africains va aboutir, en 1950 à la création de l’académie de l’AOF, qui sera gérée plus ou moins directement par des fonctionnaires de l’Education Nationale. Cette collaboration se montra efficace tant que l’administration coloniale n’avait pas renoncé au contrôle d l’enseignement en AOF. Et pourtant, les visées des deux côtés n’étaient pas toujours les mêmes. En soutenant l’assimilation administrative des écoles africaines, l’Education Nationale cherchait, entre autre à ouvrir de nouveaux champs à son action. Les ambitions expansionnistes de ce ministère « métropolitain » trouvèrent un terreau fertile dans cette « union française » qui était marquée par des discours égalitaires. Les élus africains invoquent eux-mêmes les principes égalitaires de la quatrième république pour mieux soustraire l’enseignement au contrôle de l’administration coloniale. Les solides structures et pratiques de l’Education Nationale étaient alors perçues comme une ligne de défense efficace face à une administration coloniale qui tenait à préserver ses « responsabilités » en matière d’éducation. Ce type de recomposition n’était certainement pas limité en AOF, mais des comparaisons et contrastes avec d’autres parties de la « France d’Outre-mer » restent à faire.
CONCLUSION
En somme, il ressort que l’enseignement à l’occidentale a commencé à se diffuser en Afrique de l’Ouest au cours de la première moitié du XIXème siècle. C’est ainsi grâce à l’initiative du gouverneur général ROUME, le premier système scolaire de type public pour l’ensemble de l’AOF a pu être mis en place le 24 novembre 1903. Pour les européens, l’école avait pour mission de civiliser ces indigènes et leur permettre l’accès à la lumière.
Cependant à partir de 1944, on assiste à une crise dans l’enseignement colonial. Des voix s’insurgent donc pour dénoncer à l’école coloniale un caractère de domination morale. Mais cela devrait être relativisé car si on peut reconnaitre à l’école coloniale une fonction de domination, nous ne pouvons occulter qu’elle a été une arme importante dans la lutte pour l’émancipation du continent et de ses hommes. Comment l’enseignement colonial en AOF a contribué donc à cette lutte ?
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